Gens du pays, vous n’êtes pas sans connaître la tradition du gouvernement à proposer des réformes pour améliorer la vie de notre société, de nos citoyens, de nos administrés. Sur ce riche thème sans frontières, voici quelques modestes cases achevées hier.
Et comme nous aimons jouer au plus malin,
Ce sera aujourd’hui tout en alexandrins !
Pour ceux qui voudraient le texte seul, le voici ci-dessous :
Dans l’pays des lapins et sa vie guillerette
Où à perte de vue les carottes végètent
Le grand Roi couronné, peu suave et bourru
Siège sur son trône d’un air fort décousu
« Mes amis confidents, conseillers éloquents
Comment va donc la vie par ailleurs et ici ? »
Il palabre en hurlant, faisant tourner le vent
Pour qu’on s’adresse à lui d’une voix de souris.
« Heureux sont les lapins du soir jusqu’au matin
Chacun porte attention à remplir sa mission
Mais si je peux oser parler sans omission
Bientôt nous connaîtrons un sombre lendemain. »
Le Roi lève un sourcil, surpris de la nouvelle
« Oui Sire, pour dire vrai, tout commence à manquer
Nous taxons fort, tant et si bien, c’est usuel
Que nos carottes aimées se seraient raréfiées. »
Le Roi s’insurge alors en criant à l’injure
« Que puis-je accomplir qui sauve de la misère ?
Rendre au peuple lapin les taxes raflées hier ? »
C’est normal, c’est le Roi : il défend sa posture.
“Fi ! Pas de panique, la chose n’est point sue
Il nous faut vite agir, la lie lit la latence
Elle attend doucement que le roi soit déchu
Prêtez-moi votre oreille avec grande importance.”
Dès lors empli d’entrain, le conseiller du roi
Fomente, couve un plan, l’explique avec émoi.
Le calme de la nuit se brise avec des rires
S’amusant et fêtant la victoire à venir.
Au réveil, en ce jour, un grand rassemblement
Bruyant et agité, provoque un tremblement
Un immense panneau avec un écriteau
Suscite les esprits, les échanges et les mots
Y figure une annonce écrite en gros et gras
Une réforme est là. La voici, la voilà :
“Dès aujourd’hui, mes chers, les carottes seront
Dénommées “oranges”, liant couleur et nom »
«Le terme « carotte » est dès aujourd’hui banni
Ainsi va l’avenir, continuons nos vie. »
Stupeur dans l’assemblée, les langues s’interrogent
« La carotte est sacrée, depuis la nuit des temps
Mais que fait notre roi, notre cher gouvernant
On ne peut blasphémer, personne n’y déroge »
Le Roi se justifie : « les noms et les acquis
Freinent trop le progrès. Le mal de l’habitus.
Évoluons un peu au-delà de nos us
Nous serons tous plus forts, en sortirons grandis. »
Des cris, des hurlements surgissent de la foule
Des gens en mouvement prolifère la houle
“Réformes et changements sans l’avis de la plèbe,
Nous font esclaves, serfs, vilains, gueux et éphèbes”
Le peuple des lapins, réuni et puissant,
Escalade séant cet imposant panneau
Discordieux, sans foi et jugé insultant
Pour la culture, le futur de leurs marmots.
Sous le poids de l’émeute le panneau fléchit,
Soudain bascule, tombe ainsi à la renverse
Emportant les lapins, les grands et les petits
Dans le ravin caché, sous le regard adverse
Débarrassés de tous, les lapins gouvernants
Profitent enfin des vivres glanées en taxant.
Plus personne à part eux n’en aurait le besoin
Mieux vaut nourrir les Grands que les pauvres lapins.
Morale :
Diriger tout un peuple étant dans le besoin
Implique sacrifices et grands choix cornéliens
Il suffit pourtant de détourner l’attention
Pour tuer les problèmes et la population.
Ainsi se termine notre petite histoire
Je m’en vais désormais à dos de nénufar.